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Le Petit Chaperon rouge dans les versions orales
Version nivernaise
Illustration de Gustave Doré
Conte de la mère-grand
- Tu vas porter une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ta grand.Voilà la petite fille partie. A la croisée de deux chemins, elle rencontre le bzou qui lui dit :
- Où vas-tu ?La petite fille s’amusa à ramasser des aiguilles ; et le bzou arriva chez la mère-grand, la tua, mit de sa viande dans l’arche et une bouteille de sang sur la bassie. La petite fille arriva, frappa à la porte.
- Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
- Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Epingles?
- Celui des Aiguilles, dit la petite fille.
- Eh bien ! moi, je prends celui des Epingles.
- Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
- Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.
- Mets-les dans l’arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.
- Pue !… Salope !… qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et le loup répondait :
- Dhabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.
- Où faut-il mettre mon tablier ?
- Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
« Jette-les au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin. »Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
- Oh ! ma grand, que vous êtes poilouse !Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller. Quand la petite fille fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la cour. Le bzou s’impatientait et disait:
- C’est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
- Oh ! ma grand, ces grands ongles que vous avez!
- C’est pour mieux me gratter, mon enfant !
- Oh ! ma grand, ces grandes épaules que vous avez !
- C’est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !
- Oh ! ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !
- C’est pour mieux entendre, mon enfant !
- Oh ! ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !
- C’est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
- Oh ! ma grand, cette grande bouche que vous avez !
- C’est pour mieux te manger, mon enfant !
- Oh ! ma grand, que j’ai faim d’aller dehors !
- Fais au lit, mon enfant !
- Oh ! non, ma grand, je veux aller dehors.
- Bon, mais pas pour longtemps.
« Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ? »Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite fille était sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.
P. Delarue, Le conte populaire français, pp. 373-374.
9 commentaires:
...J'aime beaucoup cette version du conte...Je la trouve encore plus affriolante que les autres, je ne saurais dire pourquoi... A cause de certains mots sans doute... A cause des aiguilles et des épingles bien sur... Et puis à cause d'un tas de petits détails rendus très visuels par la langue même du conte...
J'ai adoré !!! Je vous remercie grandement petite princesse... Cela m'a donné une faim... de loup !!!
... Ah oui ?! Et comment interprétez-vous cette histoire des aiguilles et des épingles ?
Je pense que ça laisse pas mal de monde perplexe ... J'avais trouvé une interprétation, à l'époque de ma petite étude sur le chaperon rouge, mais elle ne semble pas faire l'unanimité ...
Il faut avouer que c'est là un langage ou une allusion pour le moins étrange ; d'autant plus étrange, d'ailleurs, que nous retrouvons la même histoire d'épingles et d'aiguilles dans une autre version orale ... Ce sera la prochaine publication.
Auriez-vous une idée, Maître Ogre ?
Personnellement, j'aime beaucoup le passage cannibale ... Il est présent dans les autres versions orales, et je pense que la version de Perrault (et bien évidemment cette des frères Grimm aussi, puisque plus pauvre encore) perd à ne pas évoquer un tel passage. Mais nous y reviendrons certainement ...
La bise, l'Ogre
...Ben, ma foi, je crois le savoir de vous cette histoire d'aiguilles et d'épingles... les épingles piquent... les aiguilles sont faites pour qu'on y passe quelque chose... C'est assez visuel là encore...Rien d'étonnant à ce compte que le Loup représente le chemin des aiguilles et le petit chaperon celui des aiguilles... Je n'oublie pas du reste que ce conte représente une initiation... d'où, à mon sens, la scène rituelle de canniblisme... S'attribuer de nouvelles vertus... en l'occurence, celle d'une vieille femme qui n'en a plus besoin... Élémentaire mon cher Watson...
La bise, petite princesse
...Ps... le loup, le chemin des épingles voulais-je dire... Désolé...
... cette histoire du choix du chemin ne semble pas si simple. En fait, je ne connais pas toutes les versions orales (!), mais il semble qu'elle choisisse son chemin un peu au hasard :
" Il en est ainsi dans les versions recueillies dans le Dauphiné entre 1950 et 1959 : les chiffres ses distribuent par moitié, quatre fois elle prend les épingles, quatre fois elle prend les aiguilles. Cependant, dans les trois versions recueillies dans le Velay, chaque fois elle choisit le chemin des épingles. De temps en temps, elle donne les raisons de son choix : prenant les épingles dans le Forez, elle dit que c’est pour en porter à sa grand-mère ; et dans une autre version, également du Forez, elle déclare : « J’aime mieux le chemin des épingles avec lesquelles on peut s’attifer que le chemin des aiguilles avec lesquelles il faut travailler ». Dans les Alpes, choisissant au contraire les aiguilles, elle précise que c’est « pour raccommoder sa robe qui est trouée », et dans le Morvan, faisant le même choix, elle explique : « Je vais prendre le chemin des aiguilles. Je vais en ramasser, de celles qui auront de gros trous, pour ma grand-mère qui ne voit plus clair. "
Et puis il existe de nombreuses variantes du motif sous la forme de « chemin des épinglettes ou des aiguillettes » (Haute-Loire), « des aiguillettes ou des espiounettes », « des épines ou des aiguilles » (Forez), « des petites pierres ou des épingles », « des ronces ou des pierres » (Vendée), « des épines ou des roses » (Hautes-Alpes).
Bon, je ne connais pas ces versions-là, je ne les ai pas lues. J'ai trouvé ça dans plusieurs bouquins, notamment celui d'Yvonne Verdié, Grands-mères si vous saviez ...
Allez, dans ma grande bonté, je vais essayer de poster une deuxième version orale ce soir ...
Ne me remerciez pas, c'est normal ....!!
... J'oubliais : je sais bien que mon commentaire précédent n'explique pas cette histoire d'aiguilles et d'épingles. J'essayais juste de comprendre pourquoi elle choisissait l'un plutôt que l'autre ... Il est bien évident que j'ai deux ou trois petites explications, mais je les garde au chaud pour le moment ...!! Il faut bien qu'il me reste des trucs à dire pour les prochains posts !
(lien vers un hommage à la version de Charles Perrault).
hummm... Donc cela me rassure, si j'ai po tout calé, c'est normal. :)
Suis-je la seule a avoir été chocked par la présence d'un si vilain mot que je ne saurais redire ??? (bon, alors je le murmure : ils l'ont traité de salope ! J'ai pas rêvé !!!)
Bon, en même temps, elle s'en est sortie. Le résultat, et donc l'initiation, n'est donc pas vraiment le (la) même que quand elle devient festin. Comment tu expliques ce changement de sens ? Ben vi, changement de sens, puisque changement de fin... J'en reste... perplexe...
Faut dire que ce genre d'histoires à explications cachées deviennent vite passionnantes !
je crois bien que je préfère cette version, avec les expressions et tout, elle est plus pittoresque je trouve... :)
pis la fillette pour le coup, elle se fait pas bouffer et c'est tant mieux!
mais tiens au fait, j'ai une révélation là : on parle pas du tout du petit chaperon rouge dans ces versions... ça vient après?
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