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L'étourdissement
Joël Egloff
Gallimard (Folio), 2007 - 140 p.
Note : 5/5
Quatrième de couverture : Dans un lieu improbable, entre l'aéroport et un supermarché, tout près de la décharge, se trouve l'abattoir. C'est là que travaille le narrateur, jeune homme célibataire qui vit avec sa grand-mère acariâtre. "On peut pas dire que c'est vraiment le boulot dont je rêvais... Ça fait tellement longtemps que ça saigne, j'en ai des vertiges de cette longue hémorragie." Il y a bien un peu d'amour, les filles à la pause, l'institutrice entrevue et dont il rêve, rêve, sans oser lui parler. Et puis quelques copains avec qui on projette des voyages et des aventures sans lendemain...
Ce serait le récit de la routine d'une vie ordinaire. Mais de ce quotidien absurde, l'auteur dessine un portrait à la fois sinistre et poétique, empreint d'un humour souvent cinglant et toujours discret.
Voici des personnages cocasses, des scènes surprenantes et drôles, dans l'ambiance d'un conte généreux, plein d'espoir et d'humanité.
Joël Egloff
Gallimard (Folio), 2007 - 140 p.
Note : 5/5
Quatrième de couverture : Dans un lieu improbable, entre l'aéroport et un supermarché, tout près de la décharge, se trouve l'abattoir. C'est là que travaille le narrateur, jeune homme célibataire qui vit avec sa grand-mère acariâtre. "On peut pas dire que c'est vraiment le boulot dont je rêvais... Ça fait tellement longtemps que ça saigne, j'en ai des vertiges de cette longue hémorragie." Il y a bien un peu d'amour, les filles à la pause, l'institutrice entrevue et dont il rêve, rêve, sans oser lui parler. Et puis quelques copains avec qui on projette des voyages et des aventures sans lendemain...
Ce serait le récit de la routine d'une vie ordinaire. Mais de ce quotidien absurde, l'auteur dessine un portrait à la fois sinistre et poétique, empreint d'un humour souvent cinglant et toujours discret.
Voici des personnages cocasses, des scènes surprenantes et drôles, dans l'ambiance d'un conte généreux, plein d'espoir et d'humanité.
Un décor sinistre ; un homme (dont on ne connaitra jamais le nom, certainement parce qu'il n'est qu'un homme parmi les autres, un homme sans intérêt) vit seul chez sa grand-mère, travaille dans un abattoir, pas loin d'une station d'épuration, pas loin d'un aéroport, en-dessous des pylônes et fils électriques. L'ambiance est glauque, surréaliste ... La seule occupation du dimanche est la balade à la station d'épuration ou à la décharge ; les meutes de chiens sont aussi dangereuses que s'il s'agissait de troupeaux de lionnes ; le brouillard est dense, partout, tout le temps ; les hommes sont épuisés, ils s'arrêtent quand ils n'en peuvent plus et dorment dans les fossés ...
Le monde dans lequel les personnages évoluent n'est pas réellement différent de celui que l'on connaît, il est simplement devenu un peu plus hostile ... Les choses ont certainement mal tournées à un moment donné. Les gens sont abrutis par le bruit, les avions qui passent pas loin des toits des maisons ; abrutis par l'odeur, l'eau qui mousse, les poissons malades, les champignons indigestes, les animaux qui s'époumonent avant d'être étourdis et zigouillés ...
Le livre est plein de désespoir, d'ironie, de cynisme ; il est également bourré d'humour, parfois même de légèreté ... On se laisse prendre par cette atmosphère, elle nous semble "naturelle", tout comme elle l'est pour les personnages.
Quelques extraits :
« Le matin ne ressemble pas à l'idée qu'on se fait du matin. Si on n'a pas l'habitude, on ne le remarque même pas. La différence avec la nuit est subtile, il faut avoir l'oeil. C'est juste un ton plus clair. Même les vieux coqs font plus la distinction.
Certains jours, l'éclairage public ne s'éteint pas. Le soleil est levé, pourtant, forcément, il est là, quelque part au-dessus de l'horizon, derrière les brumes, les fumées, les nuages lourds et les poussières en suspension.
Il faut imaginer un sale temps par une nuit polaire. C'est à ça qu'elles ressemblent nos belles journées. » [p.26 et pp.140-141]
« Pour ce qui est du reste, aujourd'hui, question chaleur humaine, je m'arrange avec un fille de la découpe qui est dans le besoin, elle aussi, en matière de frissons, et que je raccompagne chez elle, de temps en temps, à la sortie du boulot, jusqu'à l'intérieur d'elle-même.
Et puis il y a les filles de la salle de pause, sur qui on peut toujours compter pour nous remonter le moral et que je vais voir de temps en temps pour les garder en mémoire.
Elle me tiennent chaud, la nuit, au fond de mon lit peuplé de cadavres. » [p.82]
« - Et tu sais que le cerveau a été touché, il ajoute, je te l'ai déjà dit. Ils ont fait ce qu'ils ont pu, mais ils ont quand même été obligé de m'en retirer la moitié. Je sais pas si tu vois... On s'imagine pas à quel point c'est important comme organe. C'est seulement quand il t'en manque un morceau que tu t'en rends compte. Ce que j'en bave, aujourd'hui encore, à cause de ça, tu peux pas imaginer. C'est pas possible.
Puis il décrète qu'il s'est assez lamenté comme ça. » [p.105]
« Pleins de nostalgie, on se remémore alors les Noëls de notre enfance.
- Des coups de pied au cul ! que je recevais, moi, nous raconte Bortch, et fallait encore que je dise merci !
- Te plains pas ! je lui dis. Chez nous, chaque année, on me disait que le Père Noël ferait pas sa tournée parce qu'il était gravement malade et qu'il passerait peut-être même pas l'hiver. Jusqu'au jour où, pour avoir définitivement la paix, ils m'ont annoncé qu'il était mort et que personne reprendrait l'affaire. Et c'était réglé. » [pp.128-129]
« Bortch me dit que c'est bizarre, mais qu'il ne se souvient pas avoir pris des vacances, non plus, depuis bien longtemps. "Je m'en rappellerais, tout de même, si c'était le cas. Ou alors elles étaient tellement courtes que je ne les ai pas vues passer. Je les ai peut -être même confondues avec la pause, si ça se trouve."Dernière remarque : le terme "étourdissement" est employé deux fois dans le récit : la première fois à propos des animaux et de la chaîne de la mort ; la deuxième fois pour le narrateur (p.134).
Je lui réponds que c'est curieux, mais que j'ai la même impression, moi aussi. Alors il se demande si on s'est pas fait couillonner encore.
- C'est bien possible, je lui dis. C'est malheureux, mais tu peux pas leur faire confiance.
- Faudra qu'on voie ça de près.
- Parlons d'autre chose, va, je lui fais.
- T'as raison, on va pas se gâcher la soirée.
Et je remplis nos verres. La grand-mère s'endort déjà. » [p.130]
→ Ce livre vaut vraiment le détour. Il est super plaisant à lire, on ne peut pas le lâcher avant de l'avoir terminé.
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